lundi 24 décembre 2007

Julien Gracq


De mes lectures de Julien Gracq, je l'avais imaginé solitaire, retiré du monde et libre et il est resté ainsi jusqu'à fin, à la veille d'un Noël 2007, presque centenaire semble-t-il.

Longtemps je me suis délecté de sa description du monde. Un monde naturel mais curieusement fantastique, un monde au-delà du réel, d'apparences et presque dépourvu de rationalité mais tellement rempli de fées de toutes sortes.

Toute son œuvre est poésie. Son univers, c'était le silence mais aussi la bruyante ville, c'était aussi le calme paysage, la forêt, l'eau dans tous ces états (la pluie, le brouillard, la neige, la glace) mais aussi la mer, les ports, les villes de bord de mer...

Quelques petits extraits : d'abord les Carnets du grand chemin dans sa description de la pinède froissée, mmmm !

Au-dessous d’un certain seuil où le vent fraîchissant éveille par contagion la pinède toute entière au froissement de la mer voisine, le silence dans un bois de pins se fait d’un seul coup et prend une tonalité minérale.

Un balcon en forêt ensuite :

[Le] jour blanc et sans âge qui suintait de la terre cotonnait sur le plafond l’ombre des croisées […] la chambre, la maison entière semblaient planer sur une longue glissade de silence – un silence douillet et sapide de cloître, qui ne s’arrêtait plus.
[…] Le silence respirait autour de lui plus subtil sous cette lumière luxueuse […]
La lune s’était dégagée : au fond de la trouée des arbres, la pente de la clairière se givrait d’une lumière froide, minérale, toute ocellée par l’ombre d’encre des jeunes sapins assis sur l’herbe [..] on eût dit que le monde tissé par les hommes se défaisait maille à maille : il ne restait qu’une attente pure, aveugle, où la nuit d’étoiles, les bois perdus, l’énorme vague nocturne qui se gonflait et montait derrière l’horizon vous dépouillaient brutalement, comme le déferlement des vagues derrière la dune donne soudain l’envie d’être nu.

Sortir des extraits du Le rivage des Syrtes serait une gageure, essayons tout de même :

Aussi loin que l'œil portât, à travers la brume liquide, on n'apercevait ni un arbre ni une maison. L'aube spongieuse et molle était trouée par moment de louches passées de lumière, qui boitaient sur les nuages bas comme le pinceau tâtonnant d'un phare. L'intimité suspecte et pénétrante de la pluie, le tête-à-tête désorientant des premières gouttes hésitantes de l'averse calfeutraient ces solitudes vagues, exaspérant un parfum submergeant de feuilles mouillées et d'eau croupie; sur le feutrage mou du sable, chaque goutte s'imprimait avec une netteté délicate, comme on distingue de la pluie les grains plus vivants qui s'égouttent du feuillage. Sur la gauche, à peu de distance de la route, la mer de joncs venait border des vasières et des lagunes vides, fermées sur le large par des flèches de sable gris où des langues d'écume se glissaient vaguement sous la brume.
…à en perdre la raison je vous dis !

Pour finir le réveil de l'écrivain ou l'art de passer de la couette au bord de mer !

Il y a dans notre vie des matins privilégiés où l'avertissement nous parvient, où dès l'éveil résonne pour nous, à travers une flânerie désœuvrée qui se prolonge, une note plus grave, comme on s'attarde […] quelque chose comme une alerte lointaine se glisse jusqu'à nous dans ce vide clair du matin plus rempli de présages que les songes; c'est peut-être le bruit d'un pas isolé sur le pavé des rues, ou le premier cri d'un oiseau parvenu faiblement à travers le dernier sommeil; mais ce bruit de pas éveille dans l'âme une résonance de cathédrale vide, ce cri passe comme sur les espaces du large, et l'oreille se tend dans le silence sur un vide en nous qui soudain n'a pas plus d'écho que la mer...

Mort d'un poète.

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