mardi 3 février 2009

L’enterrement de Couperin


Dictée faite à Antoine Pignard-Duplessis, s.d. [1792]

«Le quatre du présent mois de février on a enterré à Saint-Gervais Monsieur Couperin, organiste de la dite église, à l’occasion de cette (sic) enterrement, il s’est passé une scène qui [a] fait du bruit. Plusieurs prêtres, à l’instigation de Monsieur Pluyette, sacristain des messes, ont signé une lettre d’invectives, laquelle a été envoyée au fils aîné du défunt, ils lui ont ainsi aussi envoyé le cierge et l’honoraire de leur présence.

Monsieur Veytard doit faire une sérieuse attention à cet article
, etc


Les chiffres (de 1 à 9) ont été transcris au bas de cette énigmatique pièce et suivies des caractères VEY Détrevaux Pluyette Huré I ALPHABET et des lettres R X, et le tout est signé Duplessis, prêtre.

C’est en travaillant sur le choix des pièces de notre exposition à venir (sur les tribunaux provisoires de la Révolution : tribunal des Dix, tribunaux criminels provisoires et tribunal du 17 août 1792) que nous avons déniché cette étrange dictée que l’accusateur public a fait transcrire au prêtre Duplessis. On se rappellera cette histoire amusante de lettres anonymes envoyées par un nommé Antoine Pignard-Duplessis, diacre d’office à Saint-Gervais de Paris pour dénoncer le vicaire et les sacristains de cette paroisse :

"On recommande à vos prières trois filoux qui soulèvent tout l’argent du bon curé Veytard. Ces quatre filoux sont Destrevaux vicaire, Pluyette sacristain de la petite sacristie, Huré sacristain de la grande sacristie".

Ce même Pignard-Duplessis qui fut déchargé de l’accusation le 27 mars 1792 (Z/3/60, jugement du 27 mars 1792), il se déprêtrisa ensuite et se fit remarquer comme aumônier d’un bataillon de la garde nationale avant d’être élu électeur du département de Paris (lire ce billet)

Mais revenons à cette dictée qui semble avoir servi de pièce d’expertise pour reconnaître Pignard-Duplessis comme auteur des lettres anonymes. On lui a donc fait transcrire un extrait du registre des sépultures de Saint-Gervais du «quatre du présent mois de février» (ni le jour ni l’année ne sont indiqués). On a «enterré Monsieur Couperin», s’agit-il de François le père, l’organiste et claveciniste réputé? mais celui-ci est mort le 11 septembre 1733. Mais on sait il qu’il laissa l’orgue de Saint-Gervais à son cousin Nicolas …qui s’appelait aussi …Couperin, s’agit-il de ce cousin?

Plus loin dans la dictée, on évoque une «lettre d’invectives envoyée au fils aîné du défunt», s’agit-il de François-Laurent, mais celui est mort peu après 1735…

Bref on a du mal à trancher…

Quand on sait que toutes les pièces des BMS (baptêmes, mariages et sépultures) établis avant 1792 dans les paroisses de Paris ont disparu dans les incendies de la Commune de 1871, je pensais avoir trouvé une information très importante qui aurait complété l’histoire de François Couperin…mais faut pas rêver tout de même, le temps des découvertes «extraordinaires» dans les archives est révolu je pense…

N’empêche que cette découverte dans les cartons des pièces à conviction de la sous-série Z/3 m’a permis de rechercher un peu plus dans les archives de la paroisse de Saint Gervais.

Si on se réfère au Guide des sources de l’état civil parisien par Christiane Demeulenaere-Douyère (il s’agit bien du même conservateur général de l’enquête du Régent …comme quoi, soit c’est une pure coïncidence, soit il y a effectivement une «loi des séries»). Notons au passage que cette édition de 1983 des AD de Paris (de 70 pages et de 23 planches d’actes d’état civil reconstitués de Parisiens célèbres) est la meilleure source qui puisse exister de l’état civil parisien (les informations sur le site des AD de Paris sont très lacunaires)…

Ce guide des sources de l’état civil parisien nous renseigne sur le sort des registres paroissiaux de Saint-Gervais :

  1. Dans le fonds de l’Archevêché des Archives de Paris, il n’y a rien sur les sépultures. À la paroisse de Saint-Gervais, les registres des sépultures ne commencent qu’à partir 1802 (et jusqu’en 1866), donc rien sur cette pièce originale qui a servi de dictée à Pignard-Duplessis.
  2. Rien non plus pour ces dates dans la série V. 6E des AD de Paris (il s’agit des registres échappés des incendies de 1871 ou entrés postérieurement aux AD de Paris).
  3. Et enfin, pour Saint-Gervais, la BnF (coté : ms 32838) conserve certes les registres des baptêmes (de 1531 à 1712), des fiançailles et bans (de 1580 à 1694), des mariages (de 1608 à 1712) et des sépultures de 1639 à 1712...mais tout cela est bien antérieur à la mort des Couperin (que ce soit le père, le fils ou le cousin).

On ne saura donc sans doute jamais la raison pour laquelle, à l’enterrement de Couperin, «plusieurs prêtres, à l’instigation de Monsieur Pluyette, sacristain des messes, ont signé une lettre d’invectives envoyée au fils aîné [de Couperin]».

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